La sincérité de l'imaginaire
Les fragments de curiosité, ce sont les éléments que Marie Léon invente, manipule et instaure à travers son travail. Ce sont pour la plupart des objets, des éléments, les particules coercitives d'un ensemble plus vaste dont les limites ne sont pas définies. Ces fragments peuvent tenir du dessin aussi bien que du son ou du volume. Leur provenance peut sembler étrangère, mais ils sont visiblement familiers les uns aux autres ; par leur forme, leur sens, leurs nuances. Une inquiétante étrangeté émane de ces fragments et ils paraissent représenter des choses auxquelles nous sommes pourtant accoutumés, dont nous disposons au quotidien : des outils à nos propres mains en passant par une iconographie quotidienne. Pourtant, quelque chose d'autre s'en dégage.

Qu'importe pour ces objets s'ils tiennent du dessin ou du volume : chacun se transforme en unité et s'inscrit dans langage imaginaire. Énigmatiques, ils semblent faire partie d'associations rappelant un rébus, et leur agencement dans l'espace - aussi bien celui de la feuille que l'espace physique - pousse à créer des agencements et des faire des corrélations.

C'est à travers la construction d'une grammaire que Marie Léon agence ces éléments. Ils prennent la place des mots, présents dans ses compositions au sens propre, comme au sens figuré. Elle communique alors d'une manière évidente et instinctive et qui, pour le profane, sonne comme des rébus et des énigmes. 

Il faut alors accepter de lâcher prise : Il ne s'agit pas de comprendre, mais bien d'éprouver. Marie Léon va suggérer plus qu'imposer, et c'est à travers ses propositions que se dessine l'écart où les choses se passent. Cet écart est indispensable à la syntaxe de son travail et il émerge par une sensible béatitude. L'espace entre les choses, l'espace des choses : au sein des compositions, les objets - ou les sujets? - transvasent, transversent et conversent en empruntant ces ponts et ces connexions. Ils prennent parfois la forme même de ces portes, de ces ouvertures et incarnent directement ces interstices synaptiques.  

L'importance de ces interstices ne vient pas de nulle part et ils opèrent à la manière du vide entre les cases de la bande dessinée, de l'espace entre les mots dans une phrase, de la ponctuation entre les colonnes d'une même bâtisse. Ils font partie de ce langage inventé, sensible et subjectif et dont l'étymologie prend racine à travers des références aussi bien contemporaines et populaires que nébuleuses et privées. Mais aucun dictionnaire ne permet d'en obtenir le sens et c'est par la conjugaison des projections personnelles de chacun que ce vocabulaire s'enrichit. Ce qu'il dit est toujours juste : il n'y a pas plus sincère que l'imaginaire et c'est au spectateur de créer lui-même le sens qui lui paraîtra le plus proche d'une vérité en faisant glisser son interprétation à travers ces ouvertures. 
Ce qui rend tangible ces inventions et ces fragments, c'est leur polysémie et leur pluralité. Ils sont instanciables, réutilisables, et plus ils sont présents, plus ils sont réels. 
Supports concrets, supports picturaux, supports auditifs : les sens sont mobilisés pour construire à tour de rôle les pans et les versants de l'univers de Marie Léon. Elle complète un dessin par une composition sonore, matérialise un icône par une céramique, exporte la matrice carrée de la feuille en caviardant ses figures dans des plastiques et des bois. Chaque forme existe comme une entité à part entière qui peut être représenté sous plusieurs formes et se retrouve sous plusieurs instances.
Le propre d'un personnage c'est d'agir, et c'est en étant présent que ces personnages agissent sur nous. Tels des acupuncteurs, ils viennent déclencher et activer des réactions, des représentations et des images qui viennent se superposer et compléter ce que l'on voit. Et parfois, ces personnages prennent réellement vie et deviennent les acteurs de seynettes, se mettent à jouer un rôle et animent eux-même le décor dont ils sont issus. Il est alors temps de conjuguer également la main et le geste : ce pantin est il là de son propre chef ou se meut-il par une force ectopraxique*? Y a-t-il réellement une différence, son mouvement ne se suffisant pas à lui même?

On retrouve l'image de la main dans plusieurs compositions. Résonnant à la manière d'une picturalité préhistorique, elle amène l'idée d'activation, de mouvement, sert d'articulation pour l'ensemble. Elle agit comme un verbe. A la fois sujet de son travail, outil de son travail et médium de son travail, cette notion de main est présente sous bien des aspects chez Marie Léon. Et cette fascination pour la main n'est tant un goût pour la manufacture que l'interêt pour notre rapport au monde. C'est par la main que nous faisons, créonts, mais aussi que nous pouvons communiquer, entrer en contact, ressentir et offrir. Plus que la main de l'artiste, c'est "la" main qui est représentée et dont il est question. Cette d'un individu lambda aussi bien que celle d'un personnage issu d'un monde imaginaire, celle d'un monstre, d'un enfant, d'un cartoon, d'un bonhomme-bâton. La main elle-même est, à la manière des espaces intersticiels, l'outil de l'interactivité : ce qui active le lien entre les choses, qui va pouvoir suggérer et agencer le sens des fragments de curiosité de Marie Léon. 
Image bonhomme bleu ou clip animation
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